Un Ange – un film de Koen Mortier
Entre Belgique et Sénégal, un film incandescent sur la descente aux enfers d’un coureur cycliste, adapté du livre de Dimitri Verhuist.
Une déchéance programmée
Il s’appelle Thierry et est coureur cycliste. Un grand cycliste : le Eddie Merckx moderne. C’est du moins ce qu’il clame à tords et à cris, depuis qu’il a été déchu de son trône de roi de la pédale par une chute malencontreuse. Et, surtout, par les tests qui l’ont suivie : positifs à tous les contrôles anti-dopage possibles, sa place sur le podium est désormais menacée.
Prendre des vacances, faire la fête et boire… Il part au Sénégal et y rencontre Fae, une splendide prostituée dont il tombe aussitôt amoureux. C’est elle qui, au début du film, accueille le spectateur. Dans sa misérable chambre rouge, qui nous attire comme un aimant, nous la suivons dans son errance.
Un monde en rouge et or
Ce rouge qui envahit le premier plan nous sert en effet de guide à travers ce film labyrinthique. A peine sortis de la chambre, c’est le rouge du chemisier de Fae que nous suivons, pas à pas, dans sa majestueuse séduction. Car elle est belle, Fatou Ndiaye, avec ce maintien et cette impassibilité qui font les plus grandes reines. Mais comme toutes les grandes reines, il suffira d’un rien pour qu’elle s’effondre : Thierry meurt d’une overdose. Enquête policière, arrestation… C’est désormais une autre qui porte un haut rouge, nouvelle reine des lupanars sénégalais.
A ce rouge-sang s’oppose l’or de la boîte de nuit : des lumières dorées qui irradient les murs et le sol, mais aussi la robe de Fae, contre laquelle elle a troqué son chemisier le temps d’une soirée. La caméra de Koen Mortier joue volontiers des oppositions de couleurs pour délimiter l’espace de chacun : rouge la misère africaine, or la fête en trompe-l’œil, verte la Belgique que Thierry cherche à fuir. A ce lexique chromatique s’opposent des décrochages temporels constants, qui maintiennent le spectateur dans une inquiétante incertitude.
Un labyrinthe d’émotions
Car le réalisateur se joue de ses spectateurs comme la drogue du champion : entre flash-forward et flash-back, Europe et Afrique, star du vélo et pauvre prostituée, le spectateur est ballotté entre plusieurs continents et plusieurs temporalités. Il ne lui reste plus qu’à s’abandonner à la caméra pour parvenir, progressivement, à assembler les morceaux du puzzle. Un labyrinthe dans lequel on aime se perdre, pour le plaisir d’émotions inattendues.
Ce brouillage des temporalités et des personnages semble une représentation moderne de l’antique Roue de la Fortune, comme pour nous rappeler qu’il suffit d’un rien pour qu’un champion ne devienne un obscur junkie, et une prostituée une somptueuse reine. C’est là la leçon de cet étrange plan conçu comme une anamorphose, qui voit le sportif belge se fondre dans les traits de la belle. Et si les deux amants ne faisaient qu’un ?
Julia Wahl
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